Jeunesse Internationaliste pour le Kurdistan
Derya Aydın – « L’enseignement à Rojava : pas des « université » mais des « académie », pas moniste mais pluriel ! »
Categories: TEXTES

— Introduction de la JIK —

Ce texte très intéressant, permet de comprendre le fonctionnement des « académies » et l’organisation de l’enseignement à Rojava.

De plus, il permet de comprendre ce que le mouvement révolutionnaire kurde comprends quand l’on parle d' »autonomie ».

Bonne lecture!

— Le texte —

Entretien avec Dorşin Akif par Derya Aydın (traduction de Source: http://zanenstitu.org/rojavada-egitim-universite-degil-akademi-tekci-degil-cogulcu-derya-aydin/ de S. Caunes)

Les cantons de Rojava (Kobanê, Efrîn et Cizîrê) continuent à résister contre l’État Islamique et poursuivent parallèlement la construction de leur vie sociale. Les institutions d’enseignement ouvertes dans les 3 cantons de Rojava proposent un nouveau modèle d’enseignement. Dans les institutions d’enseignement de Rojava, qui abolissent le système d’enseignement moniste du régime Baas, l’enseignement est donné en kurde, arabe, assyrien et dans les autres langues présentes dans les cantons. Nous avons discuté des institutions d’enseignements et des académies qui représentent un modèle pour les peuples et les langues du Moyen-Orient, avec Dorşin Akif, qui donne des cours de Jineoloji [Littéralement « science des femmes » en kurde, création du mouvement des femmes kurdes et de Abdullah Öcalan, sorte de féminisme spécifique kurde] dans l’Académie des Sciences Sociales de Mésopotamie qui se trouve dans le canton de Cizire.

Akif qui dit que « La perspective sur laquelle sont fondés les enseignements est basée sur le paradigme de démocratie, écologie, égalité des genres » nous a raconté pourquoi ils-elles employaient le terme de « académie » et non « université », et nous a décrit les perspectives futures concernant les académies de femmes et l’enseignement.

Pourrais-tu nous raconter rapidement les changements survenus avec la Révolution de Rojava dans le champs de l’enseignement ?

Avant tout il faut rappeler que Abdullah Öcalan, le Leader du Peuple kurde, a un impact sur la tradition révolutionnaire dans la région du Rojava. En particulier concernant la question de la libération des femmes, il y a de sérieuses avancées. Tous ceux et toutes celles qui vont à l’académie – d’un adulte de 70 ans jusqu’à un enfant de 7 ans- sont éduqué-es par un moyen ou un autre. C’est d’ores et déjà une tradition. La lutte de libération du Kurdistan, la révolution des « kurdes libres » et des « femmes libres » a apporté dans cet espace des changements et transformations importants depuis 3 ans.

Au Rojava, Il y a deux modes d’éducation. Premièrement « l’enseignement populaire » ; cet enseignement se déroule surtout dans les académies. Deuxièmement, « l’enseignement scolaire » qui se passe dans les institutions d’enseignement de l’État. Dans les endroits dans lesquels l’État est seul, nous essayons juste de changer les programmes. En ce qui concerne la constitution des programmes scolaires, il y a une situation dans laquelle cette année par exemple dans les écoles primaires, crèches et première classe, tous les cours sont donnés à partir des livres scolaires que nous avons préparés. Les écoles dans leur fonctionnements sont reliées au Ministère de l’Enseignement des Cantons. Mais bien évidemment nous n’avons pas encore changé tous les livres scolaires. Ce que nous essayons de faire c’est de changer les programmes scolaires de ces écoles en commençant par certains cours, et faire sortir ces enseignements du contrôle de l’État pour les transférer à la population. Cependant tous les enseignements scolaires ne sont pas encore aux main de la société, l’État aussi continue ses enseignements.

Pour détailler un peu plus les enseignements des académies nous pouvons dire que les enseignements des académies sont tournés vers la construction de la vie sociale et comprennent des enseignements concernant la formation de cadres pionniers et la transformation-changement social.

La perspective dans laquelle sont fait ces enseignements est celle qui s’inscrit dans le paradigme d’une société démocratique, basée sur une économie écologique et l’égalité des genres. Nous avons un système qui est en dehors du système d’éducation développé par les États-Nations.

Ce qui est préconisé c’est plus la restitution du savoir et des sciences à la société elle-même. Bien sûr, cette situation apporte des changements dans tous les aspects de l’enseignement qui vont de la méthode d’enseignement à l’utilisation des bâtiments, jusqu’à la construction de la vie quotidienne dans les académies.

Dans les écoles de l’État, les directeurs d’école et les professeurs, bien plus que d’être instructeurs sont des personnes qui font régner la peur. Cependant dans notre définition il y a une différence profonde, le nom de la relation que nous établissons est amitié.

De l’autre côté dans les programmes scolaires de l’État, un seul programme scolaire est fait et partout on applique ce programme scolaire. Les programmes scolaires de l’État sont basés sur le récit qui fait appartenir l’individu à l’État. Notre différence fondamentale là aussi se fait jour. Car nous, nous essayons de construire un système dans lequel nous pouvons nous auto-former, et nous pouvons produire du savoir. Nous essayons en interrogeant la réalité de notre société de donner du sens, de nous appartenir à nous-mêmes et à notre société. Nous nous différencions de l’éducation de l’État ; dans ce sens, nous sommes dans un effort de construire un système d’enseignement dans lequel en réduisant la part d’État, nous développons plus la société et nous la défendons et la nourrissons.

Comment se construit l’enseignement dans les cantons ; est ce que le modèle est le même dans tous les cantons ou cela diffère-t-il de canton en canton ?

Chaque canton essaie de construire son système d’enseignement en fonction de sa réalité sociale. Bien sûr qu’il y a une approche commune en terme de paradigme. Cette approche commune c’est le paradigme de la société démocratique, écologique et pour l’égalité des genres. Cependant les composantes de la société ne sont pas les mêmes dans tous les cantons. Par exemple, le canton de Cizire représente exactement une union des peuples du Moyen-Orient ; par conséquent, le modèle d’éducation part de ça. Les cantons de Kobane et de Efrin sont différents. Je peux donner un exemple sur la question de la langue. Dans les enseignements scolaires du Canton de Cizire les langues d’enseignement sont l’assyrien, le kurde, et l’arabe. Si un enfant est arabe, il reçoit l’enseignement principal en arabe ; le kurde et l’assyrien sont optionnel pour lui-elle. Les enfants reçoivent une éducation selon leur identité ethnique et apprennent ces langues et leur enseignement est fait en fonction de la structure sociale de leur groupe d’appartenance. Mais dans le canton d’Efrin ce n’est pas comme ça ; car là bas il y a en majorité des Kurdes et des Arabes. Le canton d’Efrin a préparé les livres de cours jusqu’à la 8e classe ; mais le canton de Cizire n’a pu les faire que jusqu’à la 3e classe, le fait de partager des cultures ethniques différentes, les obligent à chercher plus les points communs.

Les académies sociales aussi se déploient sur le même axe. Par exemple, il y a d’ores et déjà une académie de sciences sociales dans le canton de Cizire ; mais dans les autres cantons elles n’ont pas encore été ouvertes. En ce qui concerne Kobane, du fait de la guerre la situation est différente.

 

Le terme « académie » est utilisé au lieu du terme « université ». Pourquoi ?

C’est une bonne question. En fait, la définition d’université est issue du système. Bien que les universités lors de leur création pensaient s’organiser de manière indépendante du système central, aujourd’hui les universités sont des institutions de l’État, pour l’Etat. Les académies quant à elles sont un espace dans lequel la société construit elle-même sa force intellectuelle. Et elles existent encore comme des lieux dans lesquels sont produits le savoir et les sciences. C’est pourquoi nous avons trouvé plus approprié d’utiliser le terme de « académie ».

Quelles sont les caractéristiques qui distinguent le modèle d’enseignement dans les académies du modèle d’éducation occidental ou du Moyen-Orient ?

La différence fondamentale peut être définie avec cette question «  comment la société veut vivre ? ». Nous avons un modèle qui essaie de trouver la réponse à cette question. Ce modèle contient en son sein la tradition de l’enseignement du Moyen-Orient duquel il est issu, cependant il prend aussi comme exemple et l’héritage occidental de l’interrogation et de la recherche. Au delà de tout, nous ne construisons pas une forme de savoir avec l’approche occidentalo-centré du scientisme. Le savoir fonctionne avant tout à l’intérieur des dynamiques internes de la société. Par exemple dans l’Académie d’Histoire et de Sociologie de la Mésopotamie, une mère de 70 ans vient et donne un cours d’histoire orale. Nous disons histoire orale, mais en fait ce qu’elle raconte c’est plus ce qu’elle a vécu dans l’histoire récente, les histoires de jeunes qui luttent pour la liberté, les légendes, les mots qui ont été oubliés ou qui sont en passe de l’être…

Laissez moi donner un autre exemple. Il n’y a pas de mémorisation-apprentissage par cœur. C’est à dire que l’écolier-étudiant se demande si le savoir appris sera utile dans la structure sociale ou dans la vie, est ce que ce savoir embellira la vie, est ce que le savoir qui est enseigné et qu’on essaie de comprendre est en rapport avec la société de l’individu ou bien s’agit-il d’un savoir produit par la modernité qui amène à l’individualisme ?

Oui il ne s’agit pas d’un savoir de ce genre là. Il y a une activité de savoir qui essaie plutôt de comprendre la vie, de raconter et de partager. C’est pour cela qu’il s’agit d’une activité d’apprentissage qui dépasse la relation étudiant-enseignant qui existe dans la tradition de l’Occident et du Moyen-Orient et fait changer les rôles.

Un dernier exemple : Dans les deux traditions les étudiant-e-s/écolier-e-s sont interrogés à travers des examens n’est ce pas ? Sur ce sujet là aussi il y a des différences. Après chaque cours les étudiant-e-s/écolier-e-s formulent des critiquent sur la manière de donner des cours du professeur, sa capacité de compréhension. A la fin de chaque enseignement dans quelle mesure la capacité d’apprentissage a donné des résultats ou non est évaluée collectivement pas seulement par les enseignant-e-s mais aussi pas les étudiant-e-s/écolier-e-s.

Les étudiant-e-s/écolier-e-s passent tou-t-e-s les un-e-s après les autres à travers la passoire de la critique-auto-critique du collectif d’étudiant-e-s/écolier-e-s. L’individu décide de comment il/elle va prendre part à la vie sociale parmi ses ami-e-s, et de manière collective.

Il y a des académies de femmes, pourriez vous nous en parler un peu ? Qu’est ce qui différencie l’enseignement qui y est donné ?

Dans les académies, sont interrogées la manière dont les femmes, qui ne sont pas vues comme une force sociale, peuvent apprendre à se connaître, à prendre leur place dans l’histoire et la manière dont elles vont se transformer en une volonté en face de l’histoire. Car dans la structure sociale existante il n’y a pas de place pour les femmes. Toutes les institutionnalisations de la société ont été définies par rapports aux hommes. Dans les académies, nous essayons de sortir de cette définition. Pour se défaire de la forme de socialisation pourvue par les hommes, un changement structurel et de mentalité concernant le discours de la masculinité et sa mentalité est nécessaire. Ceci rend nécessaire de tisser les enseignements avec l’identité des femmes.

Dans le système éducatif androcentrique, les classes d’ages doivent être rangées ensemble n’est-ce-pas ? Ceci est différent chez nous. Par exemple, dans la session d’enseignement que nous avons faite envers l’Assemblée “Yekitiya Star ”, il y avait des femmes qui étaient là avec leur mère. Certaines femmes avaient 60 ans, d’autres 18 ans. Nous voyons que l’approche dont j’ai parlé qui classe les gens en fonction de leur age en génération est bien plus une approche du pouvoir, il s’agit de problèmes qui se limitent mutuellement.

Dans les relations libres, l’âge n’est pas un problème, il s’agit du partage de l’expérience avant tout. Il est important que l’expérience de quelqu’un de 60 ans soit vue comme une force mais il est aussi important que cette force soie partagée et serve à développer son entourage.

De la même manière, être passé par l’enseignement des écoles du système, donne un statut dans la société ; mais dans nos académies, le fait de recevoir une formation ne vous donne pas un haut statut. L’éducation sert à construire les relations et la vie sociale. Ce n’est pas un problème de statut mais de qualification qui doit être partagée.

Comme les académies de femmes s’adressent à tout le canton, il s’y produit plutôt des sessions de formations fermées. Toutes celles qui viennent restent sur le lieu de la formation le temps de la formation. C’est pourquoi tout est fait en commun. Les nuits les étudiantes tiennent des tours de garde. Le matin, on commence la journée avec du sport. Ensuite les cours commencent. Après avoir fini les cours de la journée on passe aux informations du soir, puis on continue avec les cours du soir. Dans les cours du soir nous essayons plutôt de compléter les cours de la journée avec des visuels, du cinéma alternatif ou des documentaires.

En ce moment dans quelle mesure les académies sont répandues à Rojava ?

Nos académies ont toutes été construites par rapport aux besoin sociaux. Les académie d’autodéfense sont très répandues. Il y a des «Académie de Femmes », « Académie de la Jeunesse », « Académie de la Sécurité », «Académie de l’Économie », «Académie de la pensée et des idées libre », «Académie de la Ville » « Académie de Droit, Sociologie, Histoire, Langue et Littérature », « Académie de Politique et de Diplomatie », et en lien avec toutes ces académies, il y a dans chaque commune, des « Comité d’enseignement ». Chaque assemblée de ville a son «Académie de la pensée et des idées libres » pour pourvoir à ses besoins. En dehors de ça, il y a les académies créées dans les institutions pour former leurs travailleur-se-s. Ceci au niveau du canton. Mais les académies de défense ont leurs académies et leurs écoles pour former et professionnaliser sur tous les sujets concernant la défense.

Quels sont vos plans ou votre programme concernant l’avenir dans le domaine de l’éducation ?

Notre objectif est de permettre que tout le système d’enseignement soit transféré à la société. Car comme nous l’avons dit au début, nous avons d’ores et déjà ajouté certains cours à ces enseignements, et nous sommes intervenus dans les cours d’histoire et de nationalisme donnés par le régime. Mais dans les autres cours il y a besoin de changements radicaux. Dans les livres d’école primaire et de crèche nous avons fait des modifications concernant le sexisme. Bien sûr cela n’est pas suffisant. Il faut changer la mentalité qui est enseignée aux enfants à l’école. Le premier changement à faire est celui-ci.

—source—

Le texte a été trouvé sur  Le blog de A. Chaut, plus précisement ici.

Comments are closed.