Jeunesse Internationaliste pour le Kurdistan
Nazan Üstündağ – « La guerre, la jeunesse et l’autogéstion »
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— Introduction de la JIK —

Ce texte  très académique, permet quelques réfléxions intéressantes. Non pas sur l’idéologie du mouvement révolutionnaire au kurdistan, mais plutôt sur l’analyse de la situation au Bakur.

Bonne lecture!

 

— Le texte —

La violence est une puissance productrice. La violence produit des sujets, des valeurs, le temps et l’espace, ainsi que le pouvoir. Aucun-e sociologue, anthropologue ou philosophe travaillant sur la violence ne pourra nier ce fait. Les moyens de violence, de la même manière que les autres moyens de production et de reproduction sont répartis de manière inégale et les dominants se sont approprié le monopole de la violence. Le problème de la théorie libérale est que de la même manière qu’elle n’est pas dérangée par la répartition inégale de la propriété elle ne l’est pas non plus par la répartition inégale des moyens de violence et qu’elle vise à contrôler les problèmes liés à cette répartition inégale de la violence sans toucher à cette répartition. Le discours des droits humains est immanent à la théorie libérale et au lieu changer cette répartition inégale, il incite les opprimés à lutter pour limiter les effets délétères et catastrophiques qui en découlent. Le discours des droits humains dévoile, accuse et protège. Mais il a ses limites. En général, il ne produit pas de la vérité mais de la réalité. Alors que la vérité apparait avec la décomposition de la répartition actuelle et des régimes du spectacle.

Les humains sont des êtres sociaux qui ne peuvent être abstraits de leur constructions et des leurs expériences sociales. Certaines expériences sociales pour les personnes vivant dans la société concernée les font sortir de leur humanité abstraite et font apparaitre des humanités concrètes et contextuelles, des revendications, des quêtes qui ne peuvent tenir dans les lois du discours des droits humains. De la même manière que la dynamique qui est la cause des massacres des Kurdes n’est pas une violation des droits humains, le soulèvement des Kurdes n’est pas une révolte de droits humains. La révolte qui se fait jour aujourd’hui au Kurdistan est une lutte contre le régime de répartition inégale des moyens de la violence. La guerre a beau être planifiée par Erdoğan, désormais, la révolte des Kurdes dépasse la guerre de Erdoğan, et même si Erdoğan était déchu de son trône, et si la Turquie devenait un pays conforme aux droits humains, les revendications des Kurdes ne seraient toujours pas satisfaites. Il y a peut être eut un moment comme celui-ci et il y en aura peut être à nouveau. Cependant, la période que nous traversons s’inscrit dans l’histoire selon une vérité qui dépasse Erdoğan et ses violations de droits humains.

Autogestion et violence

Erdoğan aurait pu transporter la guerre en Syrie, nous avions parlé de la probabilité d’une guerre civile. Le fait que la guerre se mette si rapidement à viser les Kurdes civils peut s’expliquer d’une part par l’absence en Turquie d’une conscience et d’un langage qui s’oppose à ce que les Kurdes soient considérés comme pouvant être sans arrêt sacrifiés par l’État de Turquie et d’autre part, par l’apparition au Kurdistan d’une socialité prête à faire la guerre. La guerre actuelle ne se déroule pas comme nous en avons l’habitude entre des soldats et des guérillas. En fait si on regarde bien, on comprend que les guérillas et les militaires n’ont pas pu trouver de raisons suffisantes pour faire la guerre et que le temps passé entre temps a fait naître un partage de souveraineté relativement stable sur le terrain qu’il est difficile de dépasser. Les militaires ne sont plus les anciens militaires. La guérilla s’est efforcée depuis longtemps à intérioriser les politiques de paix. De plus les avancées au niveau de l’attention de l’opinion internationale sont trop précieuses pour les sacrifier avec une guerre à l’ancienne. Cette situation peut changer, cependant lorsque nous comparons avec ce qui se passe actuellement dans les villes, nous voyons que nous sommes en face d’un affrontement contrôlé.

La véritable guerre se déroule entre la jeunesse armée du Kurdistan et la police de Turquie. Il s’agit d’une guerre qui a commencé avec des provocations mutuelles, qui s’est propagée, qui a continué avec la terreur policière généralisée et les exécutions extra-judiciaires et qui vise à vider le Kurdistan de ses habitant-e-s. Les classes moyennes du Kurdistan, les jeunes éduqué-e-s, les politiques et les élu-e-s, sont retranché-e-s dans une position de spectateur-trice-s de la guerre, comme les milieux démocratiques de Turquie qui veulent la paix. Ces groupes, dans lesquels je m’inclus, ont du mal à entendre la clameur qui s’élève au Kurdistan et alors qu’ils construisent la revendication de la paix, sont obligés négliger de nombreuses réalités que je ne vais pas toutes énumérer ici comme la proclamation de l’auto-gouvernement, la jeunesse armée. Une position similaire est valable pour les classe moyennes Kurdes qui sont conscientes que la situation qui se dessine ne laisse pas de place à leurs propres subjectivités, et que la guerre présente n’est pas seulement contre la République de Turquie, mais se développe aussi contre la conception libérale de la citoyenneté, et contre les inégalité de genre, de classe, d’âge, d’éducation et de visibilité qui lui sont immanentes. Ce que pressentaient il y a 10 ans les classes moyennes Kurdes lorsqu’elles disaient « nous sommes la dernière génération qui pourra discuter et négocier » c’est exactement ce nouveau tableau.

La révolte des Kurdes aujourd’hui est clairement une insurrection contre la répartition inégale des moyens de violence et de gouvernement. L’autogestion et l’auto-défense sont deux pensées qui ont été développées de manière entremêlées dans le Mouvement de Libération Kurde. L’autogestion a été définie comme mouvement social de résistance et construction contre la répartition inégale des moyens de gouvernement et l’auto-défense contre la répartition inégale des moyens de violence. L’autonomie démocratique n’était pas l’appropriation de ces moyens par les politiques ou élus Kurdes mais signifiait une redistribution égale et démocratique de ces moyens à tout le peuple, il était prévu que les subjectivités et les collectifs démocratiques modernes prennent leur décisions de manière collectives à travers les assemblées, les communes et les académies, et que ces subjectivités et collectifs réalisent en même temps la production, la reproduction et la défense. Assurément ce n’est pas ce qui s’est produit, on en est même très loin. Si c’est cela qui avait été réalisé, l’autonomie n’aurait pas été proclamée au lieu d’être construite, la défense n’aurait pas eut lieu sous la forme d’affrontements, les quartiers, districts et rues n’auraient pas pu être coupées les unes des autres de cette manière.

Il y avait d’autres choix. Face à la non ouverture de l’Assemblée Nationale, des millions de Kurdes auraient pu paralyser toute la Turquie avec des actions de désobéissance civile, comme des grèves de la faim, cela aurait pu ne serait ce que momentanément indiquer à l’État turc qui ne reconnait pas la volonté Kurde sa fin, et cela aurait permis de le faire plier. En plus cela aurait pu être fait sans que personne ne meure et sans tuer personne. J’avais déjà écrit un texte semblable lors des évènements de Kobane. Si le HDP s’était comporté de manière organisée, si la structure du DTK avait fonctionné, si le DBP avait fait ce qu’il devait, la révolte de Kobane n’aurait pas été commémorée pour ses morts, mais par la puissance inédite du réflexe du peuple Kurde. Cependant l’histoire ne se déroule pas comme on le veut ou le souhaite. Le fait que l’histoire se déploie différemment de ce qui est attendu, que nos attentes soient mises en échec, vient du fait que ce sont les actions des sujets que nous ne cessons de créer dans nos rêves et dont nous refusons de reconnaitre les différences radicales soient les déterminants principaux de l’histoire.

Réaffirmons que la révolte de Kobane comme la résistance d’aujourd’hui sont des révoltes d’autodéfense. Alors que les Kurdes en tant que peuple voulaient apporter leur soutien à Rojava, comment se fait-il que l’État rabaisse et ignore leur volonté collective? Comment se fait-il qu’aujourd’hui les Kurdes vivent encore séparé-e-s de leurs propres enfants qui sont dans le maquis ? Comment se fait-il qu’ils et elles sont obligé-e-s de toujours convaincre en premier le peuple turc que de ce qu’ils et elles veulent ? Comment se fait ils qu’ils et elles soient toujours obligé de se soumettre à la volonté et aux caprices des préfets, policiers, et militaires envoyés par la Turquie ? Comment se fait-il que les lois ne s’appliquent que contre les Kurdes et jusqu’à leurs infimes détails ? Comment se fait-il que les Kurdes sont encore obligés d’aller à l’école en turc, d’avoir des cours les plus nationalistes et religieux que même les turcs n’aiment pas, et qu’ils soient condamnés à une histoire officielle dans laquelle tout ce qui à trait à leur propre culture est nié de A à Z. Comment se fait-il qu’ils n’ont pas le droit de s’auto-gouverner et de se défendre ? Qui est capable d’expliquer tout cela aux Kurdes ?

Cela s’appelle le colonialisme, l’occupation, et monopoliser les moyens de gouvernement et de violence, et ne les partager qu’avec un petit groupe social par le biais du capital, de la politique et de l’enseignement, rend invisible le colonialisme. Réduire l’insurrection de la jeunesse Kurde à une réaction contre des violations de droits humains, et même dire qu’il y a massacre, accuser Erdoğan, demander « cette guerre est la guerre de qui ? », toutes ces choses peuvent parfois contribuer à rendre le colonialisme invisible. Les jeunes à Gever, Silopi, Silvan, Varto, en l’absence d’une désobéissance civile, du fait de l’incapacité d’une politique qui s’est rendue sourde à eux de fournir une réponse, ont pris, que l’on aime ou pas, avec des erreurs et des mérites avec ses côté conforme à notre modèle et ceux contradictoires, leur destin en main et combattent avec toutes leur forces contre la monopolisation de la violence et des moyens de gouvernement.

Quelle jeunesse Kurde ?

Rojava a rendu le peuple du Kurdistan du Nord jumeau avec celui du Kurdistan de l’Ouest. Alors que des dizaines de jeunes du Kurdistan du Nord donnaient leur vie pour le peuple du Kurdistan de l’Ouest, alors que la guerre dans la région du Moyen-Orient avec ses armes et ses dollars, devenait visible sur la scène mondiale en même temps que le Rojava avec sa résistance, son projet d’auto gouvernement et sa dignité, il était évidement impensable que les jeunes Kurdes continuent au Kurdistan du Nord de répondre par la patience, les bons sentiments et la compréhension au fait qu’on les fasse vivre dans les insultes, les humiliations, l’attente, l’exclusion, et qu’ils soient considérés comme des invités dans les rues. Dans mes rêves il y avait une jeunesse révolutionnaire qui construirait la paix, comprendrait le concept d’autodéfense comme l’organisation du peuple à tout les niveaux. Une conception de la politique qui ignore les réalités sociologiques amène à se tromper comme ça. Qu’est-ce qu’on espérait ?

Pensiez vous que ces jeunes, dont les pères et les mères, avec les migrations forcées des années 90, ont été arraché-e-s à leur environnement et à tout leurs savoirs et sagesses, qui ont été témoins de leur transformation en ouvriers non qualifié, qui a l’école ont été coupé d’un coup de leur propre vie et qu’on a essayé de discipliner à l’école avec la langue turque qui coïncidait avec l’ennemi, ceux qui n’ont jamais été concernés par aucun des nombreux concours, source de (faux) espoirs pour la jeunesse turque, qui ont grandi avec les chants de la guérilla, qui n’ont pas pu rejoindre les guérillas, qui ne se retrouvent pas dans le langage utilisé par les hommes et femmes politiques Kurdes -du fait de la nature même de la politique- allaient se transformer en des sujets pacifiques, créatifs, révolutionnaires mais dociles?

Est-ce que ces jeunes allaient tourner le dos à la force acquise grâce aux armes de ceux qui paradent en arme dans les rues et les commissariats, pour organiser l’objection de conscience ? La même situation est valable pour les femmes. Effectivement nous sommes dans une situation dans laquelle les femmes du Kurdistan en ont marre de la vie et disent que quoi qu’il arrive elles sont prêtes. Les fouilles à nu ne prennent pas place dans les journaux. Une amie qui est allé à Varto raconte que désormais les femmes considèrent les policiers comme des pervers, qu’elles se protègent comme on se protège de pervers, qu’elles ne sortent pas de chez elles, qu’elles ne peuvent pas sortir, qu’elles ne font plus le ménage, plus à manger.

Tout cela n’est pas une question de droits humain. Tout cela est au delà de la question de la guerre qui serait celle de Erdoğan. Le peuple Kurde est en révolte pour reprendre les moyens de la violence et du gouvernement qu’ils considèrent comme des forces de colonisation et d’occupation, et la guerre de Rojava a donné à cette révolte en cours de construction un moyen, un but, et un langage propre.

Ce langage interne est un langage fort, résolu, digne et de combattant. Cependant, bien sûr que si ce langage, s’il ne se coule pas dans une éthique précise, si elle ne fait pas un élan de démocratisation, de transparence, et d’inclusion comme nous en avons vu les fondements à Rojava est un langage qui peut être dangereux. Effectivement les personnes qui travaillent dans la région parlent d’accusations d’être un agent, de jeunes qui se testent et se divisent entre zone avec leurs résistance, leurs victoires et leurs pertes, et d’une énergie qui est prête aussi à se tourner vers l’intérieur.

Aujourd’hui l’un des sujets les plus importants pour le Mouvement de Libération Kurde doit être de développer un leadership politique et social qui soit capable de rendre cette énergie universelle et morale, et qui en même temps ne sacrifie pas les jeunes kurdes, et ne permette pas qu’ils soient sacrifiés. L’une des responsabilités les plus importantes des mouvements démocratique de Turquie est de développer une réciproque à cette énergie. Si demain ou après demain les négociations reprennent, et qu’en disant « allez fermez ces tranchées » on fait passer le drapeau de Gever, Silopi, Cizre pour le confier à Diyarbakır, İstanbul et Van, on ne fera que verser de l’eau au moulin pour un prochain Mouvement Battasuna.

La non rencontre lors de la période passée, entre ces jeunes et les députés de Turquie, et le fait de livrer des centaines de jeunes de Turquie aux forces fascistes est le produit de la même erreur. Un jour certainement j’écrirai un texte pour ces jeunes turcs. Mais ce que je veut dire pour le moment c’est que tant que l’on ne discutera pas des problèmes dont j’ai parlé ci-dessus de manière claire, simple et en mettant un nom sur les choses, de manière à ce que les jeunes en soient les sujets, la voie de la politique légale en Turquie ne pourra pas être ouverte, si elle l’est ce sera pour une courte durée.

Et la paix ?

Le Mouvement de Libération Kurde en alliance avec les forces de gauche et démocratiques, ont construit avec un grand labeur les interlocuteurs de la demande de paix en Turquie. En effet, aux quatre coins du pays, les femmes, le Bloc de la Paix, Mazlum-Der, et épisodiquement, même, si pas avec la même force, les familles de soldats, font monter les revendication de paix et de cessez le feu. Les discours de Cemil Bayık et de Duran Kalkan montrent que cette demande trouve un écho dans le Mouvement de Libération Kurde. Cependant il n’y a pas encore à l’ouest de répondant aux voix des jeunes et des femmes Kurdes. Il sera difficile que cette réponse apparaisse sans voir et reconnaître la différence radicale de la colonie, et sans qu’elle revête un langage universel. Pour le moment, nous n’avons pas dépassé le statut d’organisation des droits humains, y compris le HDP. Je rejoins la déclaration de Duran Kalkan qui a attiré des réactions. Le HDP aurait pu ne pas attendre l’ouverture de l’Assemblé Nationale. Il aurait pu traiter le thème de l’assemblée constituante, aurait pu convoquer des réunions rappelant les Congrès de Samsun, Amasya, Sivas, Erzurum qui ont été à l’origine de la guerre de libération, et dire que si l’Assemblée ne se réunissait pas il la réunissait. Effectivement, ce que nous appelons le coup d’État de Erdoğan, comme l’a rappelé plusieurs fois Demir Küçükaydın est le fait qu’une telle chose soit faite dans le palais présidentiel par la main du Président de la République.

L’exemple de Syriza doit nous servir de leçon. Syriza, qui n’avait par réussi à s’organiser dans le peuple, qui ne se faisait pas confiance à elle même, et qui s’est paralysée dans la politique des équilibres, organise aujourd’hui de sa propre initiative des élections anticipées. Nous avons écrit à plusieurs reprises que le HDP devait être un parti de la vérité et non des politiques de l’équilibre. Même si c’est de temps en temps cette qualité qui ressort, la plupart du temps le HDP continue à être dasn la position d’observateur passif. Créer les mécanismes qui permettent la concordance entre les organisations, les député-e-s et le peuple demande du courage et de la créativité.

Une faculté qui pourrait créer ce courage et cette créativité et une volonté politique qui serait fidèle à la vérité du peuple ne pourront être possible qu’avec le fait que les travailleur-se-s, les jeunes, les mères, les femmes au foyer, c’est à dire les parties opprimés de la société non pas choisissent leurs représentant-e-s mais deviennent les élu-e-s.
Mais malgré tout, n’accablons pas le HDP, parer une attaque totale de l’État, qui plus est dans l’espace légal, et cela sans sacrifier ses voix, en prenant en compte la Turquie et le Kurdistan c’est réussir l’impossible. Peut être que cette fois-ci ils ne laisserons pas le HDP passer le barrage. Peut être que dans ce cas là, la guerre sera bien pire encore. Alors que les déclarations du palais, les incitations à la délation, les tireurs d’élites, les lois qui visent à produire des chasseurs de prime sont en train de transformer la terre où nous vivons depuis des centaines d’années en enfer, nous avons tou-te-s besoin d’une maison. Le HDP ne laisse aucun doute sur le fait qu’il est prêt à nous offrir à tou-te-s une maison même dans la pire des situations.

— source —

Traduit par Sarah Caunes pour Nouvelle Turquie.

Source : http://www.ortakhaber.com/yazarlar/nazan-ustundag

Trouvé ici.

 

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